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Jean-Pierre Bocquet
14 avril 2009

Couronne d'épines

Mardi 14 avril 2009. Je quitte l’Espagne, sa semaine sainte chômée et célébrée, ma petite-fille Inès et son enfance catalane, Olivella et ses pancartes « En venta / Se vende » aux grilles des propriétés de luxe qui ne trouvent plus preneur… Là comme ailleurs dans le monde imprégné de culture chrétienne, les cloches sont revenues, les œufs de Pâques aussi mais la reprise se fait attendre et désirer comme une vieille cocotte chichiteuse.
Les pins où les écureuils courent de branche en branche tapissent les collines, bruissant au souffle tiède d’un vent marin, métamorphosés en lyre et animés d’une immense ola naturelle. Ils ignorent impunément la crise, les misères accumulées à leur pied et les chenilles processionnaires. Je traverse le parc naturel de Garraf, sa rocaille et ses étendues sauvages, sa flore protégée de la main sacrilège de l’homme, ses rongeurs, ses renards et ses rapaces, ses serpents et ses scorpions dont la rencontre inopinée dissuade le pied téméraire et profanateur du promeneur importun qui bénit alors le regain de sagesse qui le gagne et les chemins balisés.
Mais ma voiture ne se perd pas dans les sous-bois : elle suit les lacets à l’impeccable macadam de la route qui nous mène vers Villafranca del Pénédès. Le thym en fleur sur les bas-côtés et les milliers de ceps qui hérissent les terres ocres et rouges me rappellent que l’Espagne est aussi le pays des saveurs et de la vigne, une marqueterie de coteaux ensoleillés et généreux qui enfantent des blancs fruités et des tintos ou negros amples et puissants, des cavas gouleyants et frais… Boire une bouteille de pénédès, c’est comprendre et connaître un peu mieux la Catalogne…
11 heures. L’autoroute contourne Barcelone. Dans le ciel limpide et intensément bleu, avivé par le soleil qui en souligne le relief et en accentue la surrection, l’étroit massif de Montserrat hérisse sa couronne orgueilleuse. Il règne sans partage sur la Catalogne qui se tisse à ses pieds. De ses pentes ravinées et abruptes, saignent les affluents du Llobregat. Pour l’œil de l’automobiliste qui la regarde à distance, happé par le flot autoroutier, la douloureuse dentelure d’épines rocheuses de Montserrat rappelle un christ crucifié ou un immense mur des lamentations. Si jamais paysage pascal existe, c’est Montserrat qui l’incarne…
Montserrat, couronne d’épines, christ crucifié et sanglant, souffrance et rédemption… Faut-il que j’y ajoute ce gecko grimpeur entraperçu dans la villa de mes enfants à Olivella, friand de scolopendres et dont les mythiques cousins sahariens, les lézards cornus, laissent couler des larmes de sang… Décidément, ces images m’obsèdent : couronnes, sang et larmes, souffrance et sacrifice. C’est que la Catalogne est une terre d’amour et de liberté, accueillante et arrogante, inflexible et courageuse ; elle n’a jamais plié devant Franco, aussi peu encline à l’ordre avilissant du caudillo que les arides parois coupantes de Montserrat… Si jamais l’Union méditerranéenne si chère à notre président, à DSK et à feu Michel Jobert voyait le jour, Barcelone doit en être le point focal, Barcelone qui s’ouvre sur la mer et que protège l’immense statue de la liberté de Montserrat.
Comme quoi ce ne sont pas les mots qui importent, mais les images qu’ils véhiculent. Pour Anny, Montserrat évoquait une cantatrice. Pour moi, plus versé dans l’art dramatique que dans l’art lyrique, Montserrat ne fut longtemps qu’une pièce de théâtre en trois actes. Mais aujourd’hui, ces images anciennes s’évanouissent au profit de celle qui les surplombe et nous réunit une fois encore dans un souvenir partagé, fût-il l’une des réalités fugaces que le diaporama de l’itinéraire choisi fait défiler à la vitesse du véhicule…
De même que pour Fédérico Garcia Lorca , une guitare est un cœur grièvement navré par cinq épées, de même la couronne d’épines de Montserrat saigne sur les terres viticoles et industrielles de Catalogne, ancestrale rédemptrice du labeur humain.

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