Tombe la neige
Dimanche 20 décembre 2009. Elle est tombée ! En couche épaisse
et froide où bourgeonnent çà et là de sympathiques bonshommes dodus, ornés d’un cache-nez ou d’une casquette… Elle est
tombée comme en 56, 63, 79, 85, 93 ou 2005, messagère silencieuse
de l’hiver.
Elle a semé la pagaille
sur les aéroports, les autoroutes ; elle a paralysé les trafics,
ridiculisé les eurostars, condamné les camions à la
sieste.
Pour avoir oublié que gouverner
c’est prévoir, la Région, le Département, les communautés
urbaines et autres syndicats intercommunaux en sont réduits à
faire brûler des cierges à saint Dégel…
L’A 16 est salée mais bloquée
par d’interminables files de poids lourds. Les mêmes encombrent les
rues dunkerquoises, accaparant au besoin les couloirs de circulation destinés
aux bus. Se rendre à Auchan relève désormais de l’exploit.
Là-bas, on se dispute pour trouver une place sur les parkings enneigés
et patauger sur le macadam nappé de bouillasse et de glace en slalomant
au bout de son caddie. Á l’intérieur c’est la cohue et la
débauche d’achats en tous genres. Le sucre et la graisse, apprêtés
de mille façons, vont aller s’engouffrer dans les coffres de milliers
de voitures, moyennant le miraculeux secours des cartes bancaires. On pille
aussi l’alcool à gogo, les rayons hi-fi, les bacs à dindes
et les cochonnailles… Il sera temps de se réveiller groggy en janvier,
de se frotter et de s’écarquiller les yeux devant ses dettes, d’aller
crier famine jusqu’à la fin du mois. Pour l’instant, la crise n’existe
plus et chacun balaie ses doutes sur l’avenir en se disant : « Je
consomme, donc je suis. »
Je suis : être ou suivre
? Les deux ; en bêlant de concert et admiratifs devant les merveilles
de nos indécents gaspillages…
Même le blanc manteau de
la neige immaculée n’aura pas réfréné ces ardeurs
là.
La neige si importune ici et pourtant
si lucrative ailleurs, nous renvoie plus que jamais à notre religion
consumériste. Qui aura un jour le courage d’ouvrir un débat
sur ce type d’identité ?
Pour moi, j’aime la neige et je
donnerais toutes les dindes de Noël pour voir voleter quelques flocons.
Je savoure leurs ballets folâtres et duveteux de ma fenêtre,
réchauffé par la fonte d’un radiateur et l’esprit subtil
d’un verre de Mac Allan.