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Jean-Pierre Bocquet
25 janvier 2011

Realpolitik ?

Mardi 25 janvier 2011. Le Président de la République a tenu hier une conférence de presse sans doute retransmise en direct sur certaines chaînes télévisées et dont le contenu était soigneusement ficelé.

Ce matin, feuilletant mon quotidien, j’ai cru quelques instants qu’ Alhzeimer me guettait. Pas de gros titre s’étalant à la une, pas de double page à l’intérieur résumant le propos et truffée d’extraits, presque rien si ce n’est un mini-article encombré d’une courbe de popularité et une chronique au demeurant très pertinente.

Qu’est-ce à dire ? Que conférence rime avec indifférence ? On finirait par le croire. Quand le Président De Gaulle tenait une conférence de presse, c’était véritablement un « événement », une haute leçon de politique et de rhétorique, une théâtralisation impressionnante, un richissime exercice de créativité aphoristique. Qu’on approuvât ou non ses allégations et prises de position, on admirait le style et l’orchestration. Pompidou et Mitterrand s’essayèrent au même exercice avec davantage de retenue mais non moins adroits et matois. Qu’on me pardonne le dernier terme, archaïsme éhonté à l’heure de la novlangue communicationnelle et pornocratisée, hypocritement néologistique, mais il est idoine. Est matois celui ou celle qui fait preuve d’habileté et de ruse sous des dehors débonnaires. Tout cela fleurait bon le terroir et la force tranquille en même temps que la maîtrise littéraire.

Autres temps, autres mœurs. Finie l’affirmation du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes et d’assumer librement leur destin, fût-il contraire au nôtre. Aujourd’hui triomphe le concept de realpolitik où chacun peut placer le souci de ses propres intérêts (politiques, économiques, stratégiques…) dans le mépris cynique et l’ignorance affichée de la dignité des plus démunis.

Insignifiance, conférence, complaisance, connivence… Je laisse à chacun le soin de continuer l’inventaire.

J’ose simplement espérer que l’indifférence à cette conférence de Monsieur Sarkozy comme l’appelle Monsieur Fabius (Y a-t-il encore un Président de la République dans la salle ?) n’est pas le pendant d’une conférence de l’indifférence au sort des autres, à celui du peuple tunisien par exemple dont on aurait sous-estimé les aspirations à la liberté mais qui nous oblige à la réserve compte tenu du passé qui nous lie. C’est à croire qu’on aurait oublié la portée réelle de l’affirmation de De Gaulle.

Se contenter  de faire jouer du Sibelius dans les réunions publiques par solidarité pour la Finlande confrontée aux dizaines de divisions soviétiques, était-ce garantir le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Fermer les yeux sur la répression en Pologne au nom de la détente en se contentant de laisser défiler des cortèges de polonistes, était-ce garantir le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes ? Non, bien entendu. Il est des moments où l’honneur de la France serait de lancer « Vive la Tunisie libre ! » comme elle aurait dû lancer « Vive la Finlande libre ! » ou « Vive la Pologne libre ! », comme elle a su lancer « Vive le Québec libre ! » dans les circonstances que l’on sait.

Mais les affaires sont les affaires, les intérêts les intérêts et la Realpolitik la Realpolitik. Les vautours et autres charognards planent déjà, prêts à grappiller tout ce qu’ils pourront si d’aventure la démocratie naissante vacillait en Tunisie. Toujours au nom du réalisme. C’est Georges Bernanos (mais les bien-pensants l’ont honni) qui écrivait : «  S’il n’y avait que des salauds dans le monde, le réalisme serait aussi le bon sens, car le réalisme est précisément le bon sens des salauds. »

Je veux bien concéder que la critique est facile mais que l’art est difficile et que, comme je n’ai jamais été aux affaires (comme l’on dit), il m’est facile de critiquer.

Aux affaires, j’y étais précisément hier soir, partageant la manne de la luminosité ambiante entre la lecture stimulante d’un essai fort instructif et les fameuses « affaires classées » d’une série policière à la sauce américaine. L’essentiel vint ensuite, avec le menu de l’émission Mots croisés ; on allait échanger à propos de la conférence de presse de celui que les invités ont eu la politesse de ne jamais nommer Sarkozy tout court.

Il était à la fois irritant et amusant de constater combien chacun avait le souci de se dédouanner de ses errements ou de ceux de ses amis à propos de la Tunisie, Cécile Duflot exceptée et pour cause, elle est comme moi ; elle n’a jamais tenu les rênes du pouvoir…  J’aurais préféré que tous reconnaissent avec humilité comme moi que nous n’avons pas été bons, que nous n’avons rien vu venir, avant tout nombrilistes et préoccupés de nous-mêmes. Ils ont passé leur temps à s’emmêler les pinceaux, à se prendre les pieds dans le tapis de leur bonne conscience, à s’emberlificoter dans l’angoisse de rater le train en marche et dans l’obsession de leur survie politique ou économique, Laurence Parisot en tête de gondole.

Fatigué de cette casuistique et de ce pharisianisme, je me suis replongé dans mon essai. Dieu merci, j’y ai découvert une petite sentence, pondue par un philosophe anecdotique du XXème siècle, Paul Bourl’honne. Je cite : « Il est une chose qui importe plus que la vie : c’est l’accord de l’individu avec lui-même, ou la probité. » Je sais désormais pourquoi des Tunisiens ont risqué leur vie en s’engageant dans la Révolution du Jasmin. Je mesure aussi combien le grain des choses vaut infiniment mieux que la paille des mots.

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