Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Jean-Pierre Bocquet
25 octobre 2011

Automne arabe

Mardi 25 octobre 2011. Il y a peu, un contingent du MEDEF débarquait en Libye, admiratif devant l’ampleur des ruines, des destructions, des friches à réinvestir… Pendant que Kadhafi se terrait encore, désormais ravalé au rang de al-Thagut – le rebelle suprême -, et que les hommes de la révolution se réservaient le droit de le liquider par tous les moyens, Paris recevait en grande pompe les responsables du CNT.

Quelles étaient alors nos préoccupations ? L’avenir démocratique du peuple libyen ? Les droits de la femme ? Ou plutôt le blé à se faire dans la course effrénée des Occidentaux et autres puissances en vue pour le partage d’un gâteau prometteur ?... Tout semblait aller pour le mieux dans le meilleur des mondes du business malgré la souffrance réelle et les milliers de victimes civiles d’un peuple qui utilise autant que nous ses lobes frontaux.

Aujourd’hui, on feint de s’étonner du prévisible et, les mêmes qui se faisaient acclamer en libérateurs dans des opérations de com savamment orchestrées, tancent ceux qui, au CNT libyen prônent le retour à la shari’a, parce que, bien entendu, ils ne toléreraient pas de passer pour des clowns dans la gestion des apparences dont ils se contentent volontiers.

Une tribune de mon quotidien régional titre à juste titre : « Premier voile sur le Printemps arabe ».  Premier voile sans doute parce que la revendication « officielle » de la Loi coranique précède, et de beaucoup, les élections à venir.

Et, parallèlement, le verdict du suffrage universel a consacré la victoire d’un mouvement islamiste modéré. Qu’est-ce à dire ? Que c’en serait fini des avancées de la sécularisation humaniste dans ce pays ? Que l’Automne arabe serait un automne malade ?

On peut penser que les électeurs ne votent pas toujours en pleine connaissance de cause et que, pour être libres, leurs votes ne sont point éclairés. C’est sans doute un défaut inhérent, intrinsèque au suffrage universel, et que les électeurs tunisiens partagent avec leurs homologues français, européens, américains, etc.

On peut aussi penser que les militaires qui assurent la transition en Égypte voudraient quant à eux faire l’impasse du suffrage universel, pérenniser leur pouvoir provisoire en brandissant la menace du désordre et de la division. C’est peut-être ce qui les a incités à réprimer dans un bain de sang une manifestation des chrétiens coptes. Je conseillerai quant à moi la lecture stimulante de l’ouvrage de Bruno Étienne « Islam, les questions qui fâchent ». Le livre date de 2003 mais il secoue notre refus passionné de savoir. Il nous rappelle par exemple que pour l’islam, la religion prévaut sur le monde séculier et que l’ordre politique est secondaire. Il nous rappelle aussi que le religieux a été le soubassement de nombreuses révolutions depuis des décennies parce que les prévaricateurs ou les dictateurs au pouvoir étaient irréligieux voire athées. Pologne, Europe de l’est, ex URSS en sont quelques exemples. Il rappelle encore que les prêcheurs TV du « revivalisme » américain ont les mêmes méthodes que les prêcheurs islamistes, et pourtant, tout le monde s’en accommode fort bien.

Il faut être pour le respect absolu des libertés individuelles et de la dignité de la personne, mais il faut cesser d’assimiler l’Empire du Mal à l’Islam comme le fit un certain G.W. Bush. « Et cela, parce que les millions de musulmans sont des êtres humains qui, comme nous, sont avant tout pétris de contradictions. » (cf. la conclusion de Bruno Étienne)

J’imagine, pour terminer, un observateur tunisien décrivant les chamailleries en cours pour la mairie de Paris. Il rappellerait ironiquement ce futur roi de France qui proclamait : « Paris vaut bien une messe. » Paris aujourd’hui, c’est la foire d’empoigne, le sordide pugilat de responsables politiques en guerre ouverte de succession, de pouvoirs, de mesquins plans de carrière. J’ose espérer qu’il n’en est pas de même dans chaque mairie de France. Décidément, nous sommes vraiment mal placés pour donner des leçons et servir de modèle. Nous avons mis l’intérêt général entre parenthèses et la couverture qu’on entredéchire pour la tirer à soi n’est plus que charpie. La crise, la misère, la paupérisation croissante, les chômeurs, le tissu social, on s’assoit dessus…

Et puis, pour rouler plus propre ici, pendant que les Africains s’asphyxient avec nos voitures périmées, nous pratiquons la déforestation massive en Asie du sud-est pour y cultiver nos plantes salutaires. Que nous privions ainsi les populations locales de leurs moyens de subsistance et les précipitions dans la famine, peu nous chaut. Notre condescendante charité ira se préoccuper des petits ceci ou cela, comme au bon vieux temps colonial, et ils seront éternellement reconnaissants envers leurs parrains de cette manne providentielle… et c’est ainsi que, campant sur la misère de nos filleuls, nous nous donnerons bonne conscience, avec l’espoir que Dieu, qui reconnaît les siens, nous ouvrira les portes du paradis des vrais croyants.

Publicité
Publicité
Commentaires
Publicité
Jean-Pierre Bocquet
Derniers commentaires
Archives
Pages
Publicité