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Jean-Pierre Bocquet
27 septembre 2011

Un train de sénateur

Mardi 27 septembre 2011. Depuis dimanche soir, un séisme politique frappe paraît-il la France. Pour la première fois dans l’histoire de la 5ème République, notre bon vieux Sénat vient de basculer à gauche. Basculer ? Le mot est sans doute exagéré : quelques voix de majorité, ce n’est jamais qu’une oscillation contenue, un coup de balancier mesuré… Mais, compte-tenu du mode de désignation des sénateurs et du poids de certaines traditions, l’honnêteté intellectuelle oblige à reconnaître ce que certains s’obstinent à nier à pelletées entières d’arguties fantasques, ces quelques voix valent une orientation différente.

Sénat, du latin senex, vieux, vieillard. Sénat, la chambre des vieillards, les sénateurs, qui s’avancent d’un train grave et majestueux, et parfois ralenti par de sénescentes rigidités ou de rondouillards enveloppements. Je n’aurai pas l’insolence de supposer qu’en ce cas, la sagesse affichée a rapport à la sénilité latente. Je crois plutôt qu’elle a rapport au regard critique, distancié et douloureux sur la crise, les affaires, la déshérence grandissante de la France et du Monde comme ils vont. Neuf ans, ça donne le temps de réfléchir et de peser sans vivre dans l’angoisse de sa réélection, sous la pression de l’opinion et les feux impitoyables de l’actualité, sans compter les spots médiatiques qui précipitent les autres élus dans les pitreries du carnaval démagogique.

Les sénateurs sont des sages par excellence. Ils ont fait leur l’aphorisme de Cioran selon lequel « La sagesse déguise nos plaies ; elle nous apprend comment saigner en cachette. » Et même dans la charrette de ceux qui viennent de se faire débarquer, leur charrette d’infamie politique, on chercherait en vain le moindre signe d’affliction. Nos sénateurs n’ont pas d’ego, aussi témoignent-ils dignement que ce n’est pas souffrir que souffrir en silence.

D’aucuns ont pu penser que neuf ans c’est trop long et ont imaginé réduire la durée d’un tel mandat. Sans doute visaient-ils les plans de carrière de notables établis. Et pourtant, le Sénat a bien changé : il n’est plus cette assemblée d’anciens respectables et respectés, à la fois grippeminauds et débonnaires, briseurs de fougue et friands de compromis, en quête de retraite dorée… A-t-il d’ailleurs jamais été ce type d’assemblée ? Mais les mythes et les mots ont la vie dure !

En tout cas, depuis quelques années il s’est considérablement rajeuni et féminisé, à tel point que l’âge moyen et le pourcentage féminin d’élues ne diffèrent pas sensiblement de ceux de la chambre des députés, et ce n’est pas Chantal Jouanno qui me démentira.

Je me souviens d’avoir visité le Palais du Luxembourg naguère, quand Chantal Jouanno, alors acolyte ministérielle de Jean-Louis Borloo, venait soumettre certaines initiatives gouvernementales à la sagacité des sénateurs. J’aurais pu m’écrier comme Baudelaire qu’en ces lieux, tout n’était que luxe, calme et volupté. Mais, assurément, la volupté faisait défaut, la volupté mais non point la jeunesse. Il y a fort à parier que c’est ce qui a suscité la vocation de notre karateka. Je doute cependant, en adepte des arts martiaux, qu’elle puisse maintenant adopter neuf ans de suite la posture d’un yogi.

Reste à savoir qui présidera la docte assemblée. Les supputations vont bon train – si j’ose dire quand il s’agit de sénateurs. Réflexes partisans, atavisme centripète, logique des réseaux, manœuvres subtiles et circonstancielles conversions auront leur part dans la décision à venir. Chacun des putatifs compte ses appuis, ses atouts, ses liens et ses appartenances. J’ose espérer que l’on ne mettra pas les convictions au placard… Et, s’il y a des francs-tireurs, qu’ils soient au moins francs du collier, ou qu’ils se tranchent la gorge.

Cela dit, dimanche dernier, à Lille comme à Nantes ou Bordeaux, les files enjouées de grands électeurs y allaient aussi de leur train de sénateur pour pouvoir voter. Files moins avilissantes que celles des chômeurs, des prisonniers, des affamés de notre vieille planète. Que les problèmes de réforme territoriale n’occultent pas ces évidences-là aux yeux éblouis de nos promus du moment !

Aujourd’hui même, d’autres files y vont de leur train qui n’a rien de sénatorial pour la défense de l’école et du service public. L’éducation, l’instruction publique, l’autonomie de pensée et de savoirs garanties à chacun sont la base, le socle, la pierre angulaire du pacte républicain. Alors, à Paris par exemple, les enseignants en grève vont manifester en défilant, vont faire grève, du nom de cette place devenue depuis place de l’Hôtel de Ville mais autrefois réservée aux exécutions capitales avant d’être l’endroit où se rassemblaient les chômeurs.

Décapiter les services publics et fabriquer des chômeurs ; quel est donc le nom de cette logique ? Un envoi recommandé que j’expédiais hier me coûte deux fois plus cher qu’il y a quelque temps et mettra deux fois plus de temps pour parvenir à son destinataire. Étrange paradoxe d’un univers de concurrence, de vitesse et de rentabilité que celui de secteurs entiers soumis au train de sénateur alors que le Sénat précisément y échappe.

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